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St. Michel et les alpages
D’ici, la petite route qui quitte celle du Moulin pour grimper la pente en direction du nord-est, conduit à une maison foraine nommée Petit Saint-Michel. A quelque cinq cents mètres de ce site, toujours dans la même direction mais sans qu’il y ait un chemin de jonction, on trouvera le Grand St-Michel accessible par d’autres voies. Ces deux sites étaient connus autrefois sous le nom « Aux Hermitages[1] ».
[1] On écrivait toujours autrefois Hermitages avec un h. Nous conservons cette orthographe.
Notre historien local, Auguste Piguet, tente d’expliquer ce terme :
Un problème se pose tout naturellement à l’esprit : le présumé Gosbert[1] se fixa-t-il momentanément sur l’esplanade de St-Michel, tandis qu’à un quart d’heure de là, une équipe d’ouvriers édifiait le futur monastère sur la rive du lac ? – Le nom même d’Hermitages donne quelque créance à cette supposition.
[1] Premier religieux connu de l’Abbaye-du-Lac de Joux. Pour certains il aurait été le premier abbé, pour d’autres simplement prieur.
Divers historiens ont d’ailleurs cru à l’existence d’un prieuré antérieur à l’abbaye, sans toutefois attribuer au premier un établissement à part.
Une autre explication de l’appellation d’Hermitages à ces hauteurs me paraît plus digne de créance. Il arrivait à certains ascètes d’abandonner la communauté pour se retirer dans une solitude complète. … Pourquoi l’ordre des Prémontrés et partant l’abbaye du Lac n’auraient-ils pas eu leurs thébaïdes[1] ?
[1] Auguste Piguet, Etapes d’une colonisations. Le territoire à orient des lacs de Joux de 1489 à 1600, Editions le Pèlerin façon JLAG, 2000, pp. 171-172.
L’accès principal au couvent de l’abbaye se faisait autrefois par la porte St-Michel, appellation fixée sans doute en l’honneur de St. Michel l’Archange dont le nom apparaît déjà dans l’ancien testament, chef de tous les anges du ciel !
On ignore pourquoi ce terme fut aussi attribué à la Combe des Hermitages dont il effaça peu à peu le nom, celui-ci n’étant plus dès lors attribué qu’à l’alpage sus-jacent, propriété du village de l’Abbaye.
Le cadastre de 1814 ne parle plus que des deux St. Michel.
L’accès au Petit St. Michel se faisait autrefois par un chemin très raide quittant à angle droit les dernières maisons du haut du village. La trace de cette voie antique existe encore. La maison fut construite sans doute à la fin du XVIIIe siècle
Pour quant au Grand St. Michel, constitué par deux bâtiments constitué en voisinage, construction originale de beaucoup plus ancienne, l’accès se fait par un chemin quittant la route principale de l’Abbaye au Mont-du-Lac à cinq cents mètres de cette première agglomération pour monter à flanc de coteau au travers de la forêt.
Ces deux sites, isolés, présentent un charme exceptionnel. Ils méritent votre visite.
Qu’était-ce St. Michel ?
Meylan
Reymond Lucien
Auguste Piguet
Brochure sur l’Abbaye
Un très vieux chemin
Il s’agit de celui qui conduisait autrefois du village de l’Abbaye au Petit St-Michel, dit aussi plus anciennement Ermitages.
Ce chemin, on pourrait tout aussi bien parler d’un casse-cou, montait face à la pente directement depuis l’avant dernière maison du haut de l’Abbaye, côté droit de la Lionne. La pente est raide, et l’on se demande toujours comment des bêtes de somme pouvait charrier des matériaux là-haut, de construction pour la maison quand celle-ci fut élevée, de fumier pour l’engraissement si nécessaire des champs.
Il faut reconnaître que les gens de l’Abbaye ne furent guère gâtés question de territoire. Mis à part les Grands Champs, en direction du Pont, et une bande plus ou moins plane au bord du lac, ce n’étaient que pentes, et celles-ci souvent d’une déclivité fort conséquente. Néanmoins on se rend compte que, par force d’habitude, on arrive toujours à gérer un territoire, si pentu celui-ci puisse-t-il être. La situation n’était-elle pas la même dans les Alpes, si ce n’est pas souvent pire encore ?
Donc qu’il faille grimper, pour gens et bêtes, pas de problème, on construit les attelages en conséquence, on les charge modérément, et hardi, fouette cocher, on arrivera à bon port.
Pour retrouver ce vieux chemin que nous ne connaissons que par une seule photo, on consultera les cartes géographiques anciennes. Ce sera donc ici non seulement la découverte d’un chemin désormais abandonné, mais aussi celle de nombreux documents souvent peu connus. Nous traiterons aussi de la nouvelle route joignant le vallon de la Lionne au Petit St-Michel, cette fois-ci partant plus en amont, et effectuant quelques virages qui permettaient de compenser la déclivité. Dès lors, pour monter là-haut, on ne passa plus que par ici, laissant la voie précédente tomber rapidement dans l’oubli.
La plus ancienne carte de la région de l’Abbaye est celle du notaire et géographe de Vallorbe, Jérémie-Olivier Vallotton. On la date de 1708. Il n’y a qu’une maison dans le vallon actuel des deux St-Michel qui porte encore le nom de Les Hermitages. Cette maison devrait être, selon nos analyses à découvrir plus bas, le Grand St-Michel que nous situons illico-presto sur la carte Dido. Et profitons ici de redire encore une fois toutes les difficultés que nous avons avec les cartes fédérales au 1 : 25 000, puisque la Vallée de Joux, étant de travers par rapport à celles-ci, on tombe souvent pour un site donné entre deux cartes !
Ces Messieurs les géographes du Roi Louis XVI, ne font état, pour la Combe actuelle de St-Michel, que d’une maison. Celle-ci est certainement le Grand St-Michel alors que le petit, nous sommes en 1785, n’aurait pas encore été construit. Cette situation correspond aux informations données par l’enquête sur les maisons de 1837 qui donne plus de 40 ans d’âge à cette dernière habitation. Donc 1837 – 40 ans = 1797, moins quelques années = une construction que l’on peut situer vers 1790.
Carte de l’Abbaye signée Georges et Alexandre Wagnon, ACV, GC 1139/2, 1811-1814. Le tracé de la route conduisant au Petit-St-Michel est tracé d’une manière toute sommaire.
Carte fédérale de 1892. Le vieux chemin conduisant à St. Michel-dessous, est toujours signalé. Un nouveau chemin quitte la route conduisant au chalet des Ermitages pour se rendre également à ce St-Michel-dessous, voir même pour joindre plus loin, alors pur chemin de terre, le Grand-St.Michel. D’autre part une construction existe entre la Lionne et le Petit-St. Michel. Nous n’en avons aucune information. S’agit-il d’une écurie qui n’aurait connu qu’une brève existence ?
Un très vieux chemin – deuxième chant –
On a décrit antécédemment le vieux chemin conduisant des dernières maisons du haut du village de l’Abbaye au Petit-St-Michel. Il s’agit maintenant de retrouver le chemin permettant de joindre dès les bas le Grand St-Michel. Nous procéderons de la même manière, c’est-à-dire analysant essentiellement les cartes à disposition.
Celle-ci est de Olivier-Jérémie Vallotton de Vallorbe. Datée de 1708. Nous voyons dans la combe des deux St-Michel une ferme portant le nom de « Les Hermitages ». Vu la position de cette maison, il ne peut s’agir que du Grand St-Michel, tandis qu’à cette époque, le Petit n’existait pas encore. Une vague sente partant des hauteurs dominant le village semble permettre de joindre cette région. Celle-ci nous semble trop vague pour que l’on y attache une importance excessive. Mais il est certain qu’il put exister autrefois des chemins qui furent pratiqués et qui, dès lors, sont non seulement retombés dans l’oubli, mais aussi, avec le temps, ont entièrement disparu, repris par l’enterrement ordinaire consécutif à la présence du bétail, à la suite des labours, et à l’érosion ordinaire du temps.
Carte Dido de 1978. Le chemin a disparu alors que sur le terrain il est encore parfaitement praticable. Décidément les cartes ne font pas très parlantes quant à cette petite voie de communication. Notons qu’un chemin, en partie en terre, permet de joindre depuis longtemps déjà la route cantonale passant à proximité du Mont-du-Lac au Grand-St. Michel qui est ainsi atteignable de deux côtés.
Maison de vent de ce petit voisinage. Porte de grande et sorte de néveau assez peu profond qui a néanmoins permis l’installation d’un balcon auquel mènent des escaliers extérieurs. La maison a belle allure.
L’alpage
On parlé de la rue du Haut du village et du pont de la scierie du Milieu. C’est par là que passent les troupeaux, chèvres ou vaches, pour aller brouter les communs et que l’on rentre alors au village deux fois par jour pour la traite, ou pour gagner les alpages où ils resteront toute la saison.
L’un de ces alpages au moins, le Communal, aura été constitué par quelques anciennes fermes de ces hauts, telle celle à Siméon Guignard, ainsi que par tous les « Mazots » que nombre d’habitants du village possédaient là-haut et qu’ils abandonnèrent les uns après les autres. On les appelait « Les Chalottets ». On passait ainsi du bas en haut ou vice-versa plusieurs fois d’une saison selon les travaux des champs en cours. Il arriva même, parce que de la fin de mai au début de juillet on habitait plus les hauts que le village lui-même, que les enfants ainsi séparés pour une longue période de l’école principale, soient quand même scolarisés. Alors le régent leur devait quelques heures par semaine.
Si le village posséda d’ancienne date l’alpage de l’Ermitage, pour d’autres, situés au pied même du Mont-Tendre, il y eut dès l’aube de notre colonisation concurrence entre la commune de l’Abbaye et celles du Pied du Jura. Ainsi appartiennent à ces dernières le Sapelet, le Mazel, La Biole.
La vie à l’alpage a vu quelques-unes de ses scènes fixées à la fin du XIXe et au début du XXe par des photographes de talent. Ces images nous laissent l’impression d’un monde à part, tranquille en dépit de l’ouvrage à accomplir de la première aube à la nuit, et où nos saisonniers, car la saison ne dure guère plus de quatre mois, ont quand même le temps de philosopher !
On navigue tous azimuts en ces vieux temps, et les kilomètres ne font peur à personne pour aller mener son bétail là ou l’herbe est la plus haute et la meilleure. Ainsi a-t-on ce que l’on appelle des communs, et qui peuvent être les Ermitages. La distance alors est grande, tant pour descendre les vaches au village que pour les remonter. Et cela avec quatre trajets. Situation si insensée que nous préférons abandonner cette thèse pour admettre que les communs se trouvent plus à proximité du village, dans le vallon de La Lionne ou en ces hauts où se trouvaient autrefois nombre de fermes éparses peu à peu rachetées par le village. La liste est longue de ces acquisitions, utiles pour la collectivité certes, mais condamnant en même temps à une sorte de désertification une région entière.
On pourrait s’attarder fort longtemps sur la gestion du troupeau de l’Abbaye. Mais cette histoire est complexe et demanderait des études approfondies.
La saison d’alpage quant à elle se donne dans les hauts où chaque paysan place le gros de son bétail, ne gardant plus à la maison qu’une ou deux vaches pour le lait de la famille. Ce sont celles-là qui fréquenteront les communs.
Ces hauts ont aussi été rachetés par le village à leurs propriétaires quand ceux-ci venaient à abandonner l’agriculture, faute de repreneurs, ou la quittant pour aller travailler en usine. On parle pour cette zone du Communal. Il a surtout été formé par ce vaste territoire où se situaient autrefois les Chalottets où nombre de familles restaient une partie de l’été. On y avait même installé une classe d’école où le régent venait enseigner quelques heures par semaine. C’était en fait une zone dotée d’un microclimat particulièrement favorable. Il est même possible que l’on y ait installé une fruitière commune.
Un photographe y a passé en 1897 pour le compte d’Attinger de Neuchâtel en vue d’illustrer le livre de Dombréa sur la Vallée de Joux. Ses clichés sont aujourd’hui d’une valeur ethnographique incontestable. Entrons donc dans cette collection.
Ces photos étaient collées sur carton, celles-là même que les familles collectionnaient et se transmettaient d’une génération à l’autre. Elles illustraient aussi le livre.
Outre le Communal, il y avait l’alpage des Ermitages. Celui-ci fut délaissé dès le milieu du XXe siècle alors que la forêt retrouvait très rapidement ses droits.