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Le couvent
Le couvent de l’Abbaye du Lac de Joux fut édifié entre 1126 et 1134 sous l’ordre des prémontrés, soit des moines blancs.
Onne connaitra sans doute jamais qui furent les vrais constructeurs du couvent de l’Abbaye, tailleurs de pierre, charpentiers et autres, d’où ils venaient et où ils prélevaient leurs matériaux. Et surtout quelle fut la longue histoire architecturale de cet établissement qui connut sans cesse des remaniements jusqu’à sa fin en 1536.
On se posera aussi de nombreuses questions quant à ses remparts, leurs véritables largeur et hauteur et au final leur rôle, puisque des hommes un peu dégourdis, avec des échelles ou des cordes et des grappins, pouvaient passer outre ces murailles avec facilité. Protection contre les bêtes sauvages, loups en particulier ? On l’ignore. On le sait les vestiges de l’ancien couvent sont rares. On ne peut guère citer que la tour et les arcades de l’ancien cloître qui furent sans doute sauvées de quelque démolition ancienne par leur intégration dans les murs de deux maisons.
C’est sous la direction de l’abbé Guillaume de Bettens que le cloître de l’abbaye du Lac-de-Joux aurait été construit, cela moins de cent ans avant la fin du couvent. Les éléments en auraient été constitués par de la pierre d’Agiez. Idem d’ailleurs pour les restes des voûtes de la tour.
On parle pour le style de ces arcades d’un gothique flamboyant.
Les abbés se succédèrent selon la liste ci-dessous. La mémoire populaire a longtemps gardé le souvenir de Jean de Tornafol, religieux particulièrement dur avec la population du versant occidental de la Vallée, ceux-ci en venant même à se révolter. L’enlèvement du dit l’abbé à Pétra-Félix lors de l’un de ses passages au col, demeure un haut fait d’histoire. A tel point qu’il fut fixé par la littérature locale et même sur pellicule par une reconstitution de la fin des années cinquante.
Développement
Mais revenons à l’histoire globale du couvent. Il faut le reconnaître son histoire architecturale ne peut être faite que de manière approximative faute d’éléments autres que les vestiges du cloître. Mais aussi son périmètre ne peut pas être retracé de manière exacte. Faut-il voir dans le cadastre de 1814 une possibilité de faire concilier un plan du monastère avec ce qu’était devenu le village trois siècles plus tard ?
Cela paraît fort aléatoire, car entre le départ des abbés et les débuts du canton de Vaud, une population en pleine expansion éventre à tout va en vue de se faire de la place, comme aussi en cette même période il put y avoir des incendies, certains connus, d’autres sans doute signalés nulle part. Et cerise sur le gâteau, le dernier en date, le sinistre de 1966, a gommé les derniers vestiges, exception faite pour les éléments du cloître.
Il vaut donc mieux laisser le soin d’établir un tel plan aux spécialistes qui, un jour ou l’autre, tenteront de rétablir l’histoire complète de ce couvent, si faire se peut[1].
Ce que l’on sait toutefois de l’histoire de cet établissement, c’est que le couvent fut fondé entre 1124 et 1136. Aucune date précise ne peut être donnée.
Le couvent sera établi par les Prémontrés. L’initiateur de cet ordre, St. Norbert, reste pourtant en retrait voire tiendrait du mythe selon l’historien Pierre-Yves Favez, ancien archiviste des ACV qui s’exprime de telle manière quant aux notes sur le sujet de l’historien Frédéric Gingins-la-Sarra[2] :
[1] Le professeur Piguet, comme on le verra ci-dessous, fut le seul a tenter vraiment une reconstitution du couvent. On trouvera celle-ci dans l’ouvrage : Auguste Piguet, Etapes d’une colonisation, Editions le Pèlerin façon JLAG 2000. On pourra aussi découvrir les notes à ce sujet qu’il fit figurer dans un autre ouvrage : Auguste Piguet, La commune du Lieu de 1536 à 1646, Editions Le Pèlerin façon JLAG, 1999. Nous vous les proposons au terme de ce chapitre à titre de curiosité.
[2] Frédéric de Gingins-La-Sarra, Annales de l’abbaye du Lac-de-Joux depuis sa fondation jusqu’à sa suppression en 1536, Lausanne, 1842.
Il faut par exemple ranger la participation effective de saint Norbert à celle-ci (création de l’abbaye du Lac-de-Joux) dans la catégorie des mythes et lui substituer celle des frères de Grandson, Bathélémy, évêque de Laon, et Ebal sire de Grandson-La-Sarraz, sans parler des nobles de Cuarnens et de Corbières, autres participants actifs à la dotation du nouvel établissement religieux. S’il reste généralement un historien très soucieux de ses sources (de Gingins), il lui arrive aussi à l’occasion, en leur absence, de se laisser emporter par son imagination. Ainsi, quand il remonte la constitution du village de L’Abbaye aux origines de l’établissement ecclésiastique au XIIe siècle (p. 7), cela relève de la pure hypothèse, logique mais erronée puisque le village proprement dit n’apparaît concrètement qu’au XVIe siècle, comptant huit feux en 1550, et que la première famille admise à édifier sa maison auprès des murs du couvent est celle de Vinet Rochat en 1480, puis peu après de son fils Jean[1].
[1] Post-face de Pierre-Yves Favez pour la réédition de l’ouvrage de Gingins de 2018, financée par M. Henri Berney
Si l’initiateur de l’ordre des Prémontrés n’a pas eu l’importance qu’on lui accorde dans la création de l’abbaye du Lac de Joux, admettons que Cosperdi (St. Gosperd) est l’édificateur de ce lieu selon un acte de 1141[1]. On ne le considère pourtant pas comme le premier abbé qui aurait été Pierre de Pont.
Devait ensuite se succéder une longue liste d’abbés qui en comprendrait, suivant les auteurs, entre 32 et 36, de quoi meubler les plus de quatre siècles de l’histoire de ce monastère que l’on peut retrouver en résumé sur wikipédia, ce qui nous dispense de trop nous étendre ici.
Au début de leur histoire, les religieux du lac se crurent menacés par des confrères d’une autre congrégation que la leur. Ceux-ci vinrent s’installer de l’autre côté du lac, sur le site appelé le Lieu de dom Poncet. Ces religieux provoquèrent la colère de l’abbé alors en place, Etienne. Ce dernier, afin d’asseoir la suprématie de son établissement sur tout autre, rappela dans un acte daté de l’an 1149 les bienfaits qui furent accordés à l’abbaye par Ebal de Grandson-La Sarraz, Milon de Cuarnens et Guillaume et Liétolde de Corbières[2] (que des beaux noms !). Mais en même temps il prononce une puissante diatribe contre ses voisins, très inédite dans tous les documents que l’on peut consulter à propos de cette abbaye.
[1] Voir Claire Martinet, L’Abbaye Prémontrée du Lac de Joux, Lausanne, 1994, p.106.
[2] Martinet, op. cit. p. 108. Egalement dans Mémoires et documents, 1838, pp. 179 et 180.
Pour ce que l’aveugle ambition des choses sollicite sans cesse les cœurs des mortels, ouvertement aspire aux bien d’aultruy, et méprisant les siens propres, le plus souvent estend violemment ses mains ravissantes à ceux qu’il convoite, voulant prévenir les calumpnies des envieux qui menacent son couvent, et de crainte que, par le laps du temps et le défaut de la mémoire labile, les bienfaiteurs de son monastère ne tombent en oubli, l’abbé Etienne déclare public qu’Ebald de Grandson, sa femme et ses enfants, de leur bégnine faveur, ont donné à Dieu, à l’Eglise de Marie Magdelaine du lac et aux frères religieux y servant Dieu, toutes les choses qu’ils possédaient par droit héréditaire dans la Vallée, tout à l’entour du lac, perpétuellement sans rétention aucune[1].
[1] AALJ, p. 14.
Si l’on pense que le monastère ne datait tout au plus que d’une vingtaine d’années, ces droits héréditaires sont tout de même un peu minces ! Quoiqu’il en soit voilà une diatribe qui étonne. D’aucuns ont vu l’usurpateur en St. Claude. Pour nous il s’agirait plutôt des moines du Lieu nouvellement installés de l’autre côté du lac. Tout au moins les dates des documents concernant ces deux congrégations concordent.
La présence de ces indésirables allait donner lieu à un arrangement où ils seront condamnés désormais à une existence si précaire qu’ils préféreront filer.
Quelques-unes de ces règles, par leur dureté même, retiennent notre attention :
Que leur nombre ne devra pas dépasser dix, laïcs y compris.
Qu’ils ne pourront point tenir d’animaux pâturant.
Qu’ils ne pourront pêcher au lac qu’un jour et une nuit par semaine au filet, à la ligne tous les jours.
Donc aucune viande rouge pour ces miséreux qui, au final, ne réussirent pas à créer un établissement durable et préférèrent abandonner la Vallée, ce qu’ils firent sans doute avant même la fin du siècle.
Ce court épisode, de quelque 50 à 60 ans au maximum, a conduit la plupart des historiens à des développements inconsidérés sur les moines du Lieu et leur histoire, qui ne peut être exprimée en fait que par deux documents de ce milieu du XIIe siècle, établis en 1156 et 1157, et par deux ou trois autres de moindre importance.
Il paraît que les religieux de l’abbaye, avaient introduit des brochets dans le lac, et que ceux-ci se seraient tellement multipliés qu’il n’y aurait plus eu possibilité de livrer les 160 truites que l’on devait annuellement à St-Claude pour la location de la Vallée. Ces 160 truites seraient désormais converties en une rente annuelle de quarante-cinq sols genevois outre une cense de cinq sols pour le Lieu de dom Poncet, selon l’accord de 1156.
Un acte d’abergement des terres de l’abbaye dans le territoire de St. Saphorin permet de faire la connaissance de deux sceaux reproduits par Gingins de la Sarraz dans son ouvrage. Ce sont les seuls de notre connaissance.
Au début du XIVe siècle, le monastère est dans une situation critique. Les religieux se relâchent de la discipline, et leurs supérieurs s’abandonnent à la vanité et au luxe qu’elle entraîne[1]. Il paraîtrait même que l’abbé Jean de Lutry, aurait abandonné le couvent, emportant avec lui tous les ornements des autels et les vêtements sacerdotaux, croix d’or et d’argent, calices et encensoirs de vermeil, chasubles, tuniques, et jusqu’aux ustensiles de la maison, un tout qui aurait été mis en gage. Au point qu’il ne restait plus à l’abbaye de quoi entretenir convenablement un seul chanoine et un frère convers pour dire la messe.
Exagère-t-on ? Dans tous les cas l’abbé Jean fut obligé de remettre la gestion de tous les biens meubles et immeubles de son couvent, engagés ou non, au baron de la Sarraz. Remise faite pour la durée de quinze ans.
C’est à cette sombre occasion que tous les actes concernant le couvent furent transférés en ce château où le propriétaire profita de l’occasion, par le biais d’un notaire marron, pour trafiquer certains actes qui désormais interviendraient en sa faveur quant à sa possession effective de l’abbaye, et par conséquent de la Vallée toute entière. Chose étonnante, ces actes falsifiés allaient désormais faire force de loi jusqu’au XXe siècle où la supercherie fut découverte[2]. Situation plus curieuse encore, nos historiens furent capables, face à des actes en quelque sorte contradictoires, d’admettre et même de justifier les incohérences de cette documentation.
C’est probablement en cette même période, début du XIVe siècle, que fut construite la Tour de l’abbaye. Celle-ci aurait permis autant que les actes sur papiers, à asseoir l’autorité de nos barons de la Sarraz sur une région dont la possession réelle et selon les actes authentiques, n’est pas facile à déterminer.
[1] De Gingins, AALJ, p. 43.
[2] Supercherie détaillée par Claire Martinet dans l’ouvrage cité plus haut.
Il est vrai, comme le remarque un ancien manuscrit, « que le sire Amé de La Sarrée, prudent et deurant (persévérant), per grande diligence de pleideries, mais non sans grands fraix et missions, remit et refonda pour la secunde foy la dicte abbaye en si bon état que depuis, tant per le bon guovernement des abbés qui depuis ont été, que par l’ayde du dict seigneur elle a esté et est en bon point, laquelle Dieu maintienne ; Amen ». Effectivement, Aymon sire de La Sarraz répara le couvent délabré et rebâtit en pierre l’église de Marie-Madelaine, qui auparavant était en bois, et la flanqua d’une forte et haute tour qui subsiste encore et où ses armoiries se voient sculptées en relief sur la pierre de l’angle qui lie la tour au portail de l’église. C’est à la construction de cette tour que l’abbé Jacob Bonet fait allusion dans une charte datée du jeudi avant la St. Philippe de l’an 1331, par laquelle il reconnaît à ce seigneur le droit de bâtir une forteresse dans le territoire abbatial de La Vallée « pour défendre les biens du couvent « contre les usurpateurs »[1].
[1] AALJ, p. 49, document XXX p. 209, en latin.
Il faut reconnaître ici que de Gingins donne le beau rôle aux sires de la Sarraz, Car on sait en effet que l’église primitive dont on a retrouvé les soubassements lors des recherches archéologiques menées à la tour en 2018, n’était pas en bois, mais en pierre. Serait-ce pourtant à ce moment-là quand même qu’on la reconstruisit dans un sens différent, celui de l’église actuelle ?
1344, vente de la Vallée par François de La Sarraz à Louis de Savoie, seigneur de Vaud. Selon l’acte officiel le vendeur se déleste de tout, sauf de quelques derniers privilèges qui, en fait, représentent l’essentiel de ce dont il jouissait déjà auparavant. On raconte que Louis de Savoie acquérait la Vallée seulement pour mieux asseoir ses frontières à l’ouest. On se permet de le croire, à moins qu’il n’ait tout bonnement été roulé dans la farine !
C’est de cet acte en fait, en raison d’un droit de bochérage accordé à perpétuité à tous les habitants établis sous la tutelle du baron, Vallée y comprise, que découlent tous les procès qui infesteront notre histoire pendant plus de trois siècles, les Combiers ayant toujours prétendu que ce droit n’avait été couché sur le papier qu’en leur seule faveur. Alors que si l’on considère la chose sur le plan purement légal, il n’en était rien. Mais nos concitoyens luttèrent avec tellement d’acharnement et d’énergie pour ce droit et pour préserver des forêts qui suffisaient à peine à leur besoin des attaques de gens venus d’outre Mont-Tendre, que l’on finit par croire au bien-fondé de leurs perpétuelles revendications.
Des procès intervinrent plus d’une fois entre le couvent et les gens du Lieu que l’on tendait à toujours imposer bien au-delà de ce qu’il pouvaient supporter, taillabilité[1] notamment. Il fallait se défendre et bien si possible !
Les gens, tant de la Vallée que de la baronnie de la Sarraz, n’étaient pas toujours très heureux d’être sous la tutelle, non seulement d’un seigneur à qui ils devaient des corvées, mais en plus à des religieux. Problèmes de limites assez floues en plus entre les différentes régions. C’est ainsi que dans la nuit du 10 août 1364, une troupe de gens de la terre de Romainmôtier vint en armes assaillir le monastère du lac de Joux, en brisa les portes, maltraita les religieux de propos et de faits, blessa gravement quelques-uns d’entr’eux et se retira en emmenant plusieurs pièces de bétail et d’autres effets.
On devine que la punition fut en conséquence d’un tel acte de rébellion et même d’agression.
Ces troubles et cette violation si aisée du couvent de l’abbaye nous font tout de même douter du rôle protecteur possible de la muraille qui entourait l’édifice. Ainsi si une troupe de mécontents avec des armes de fortune, réussit sans coup férir à rentrer dans ce que l’on pourrait considérer comme une place forte, que dire d’une véritable armée qui tenterait d’y pénétrer à son tour ? Il faut le reconnaître, ces murailles ne servaient à rien. Et l’incroyable volume que leur donne le professeur Piguet, il aurait fallu des années de travail et une armée d’ouvriers pour les mettre en place, paraît exagéré.
[1] La taille est une redevance due au seigneur. En argent principalement. Souvent injuste, elle fut à la source de nombreuses difficultés.
1396, la communauté du Lieu se constitue de manière officielle. Ca ne changera rien à ses conditions de vie, et surtout aux charges imposées par le couvent.
Tout aussi grave si ce n’est plus, en 1458, les abbés souhaitent priver les gens du Lieu de leur droit de pêche. Ce que bien entendu ils ne sauraient accepter.
Où l’on commence à parler d’un chemin allant de l’abbaye au Mont-du-Lac et au-delà. Où est aussi évoquée la problématique des charrois de vin des vignobles à la Vallée que l’on résout de la manière suivante :
Au sujet du charroi de vin, il fut réglé que chaque habitant du Lieu faisant feu et tenant des chevaux ferait un charroi par année, pour le transport des vins du couvent depuis Lonay, Echichens et autres lieux du pays, jusqu’à l’abbaye, mais l’abbé était tenu de nourrir les charretiers et, au retour, de leur remplir de vin un baril de la contenance de trois pots[1].
[1] AALJ, p. 80.
Ceux-là n’allaient certainement pas avouer qu’il en avait tiré tout autant lors du parcours. A malin, malin et demi !
1480, l’histoire de la région en sera singulièrement modifiée, d’aucuns diraient affectée ! Vinet Rochat est accueilli à bras ouverts par les abbés qui ont besoin d’industriels sérieux, ce qu’est ce franc-comtois de bonne souche. On ne reviendra pas sur l’ensemble des privilèges accordés par un acte d’abergement rédigé en bonne et due forme sur un précieux parchemin[1], ni sur la destinée combière de Vinet Rochat et de ses trois fils – de femmes et de filles on ne parle jamais ! –
Jean de Tornafoll, de toute la liste des abbés, et elle est longue, fut le plus maudit. Son nom se rattache à un retour aux impositions les plus nombreuses et les plus sévères.
Les gens du Lieu protestent. Les plus hardis attendent même l’abbé au retour d’un déplacement connu à Cuarnens avec quelques-uns de ses familiers. L’attentat se passe à Pétra-Félix, mené par une troupe de gens armés qui entourent l’abbé, lui mettent l’épée sur la gorge, l’arrachent de son cheval et le traînent comme le malfaiteur qu’il pourrait être jusqu’au Lieu où on lui fait signer un papier contenant leur desiderata, avec en priorité l’affranchissement de leur taillabilité.
L’affaire se passe en 1486-1487, alors que les Rochat sont déjà solidement installés à l’Abbaye, voire même aux Charbonnières.
On connaît la suite. L’abbé certes cède, mais aussitôt de retour au couvent, actionne la justice. La suite est mémorable :
[1] Original aux Archives cantonales vaudoises.
Enfin, considérant que le sacrilège commis sur la personne inviolable de l’abbé Jean de Tornafol, quoique désavoué par l communauté du Lieu, réclamait une réparation exemplaire, voulant néanmoins épargner aux auteurs de cet attentat la punition bien plus sévère qui les attendait devant la justice publique, les arbitres condamnèrent les coupables à faire amende honorable, c’est-à-dire, selon la coutume du temps, à se rendre en procession à l’abbaye, tête nue, en chemise, et un cierge allumé au point, et, prosternés devant l’autel de Marie-Madelaine, patronne du lac, à lui demander grâce et merci. Ils ordonnèrent, en outre, qu’en mémoire de ce sacrilège et de sa punition les deux syndics de la commune du Lieu assisteraient chaque année, le jour de la fête de Marie-Madelaine, à la grand’messe de l’abbaye, et lui offriraient un cierge d’une livre pesant de cire[1].
[1] AALJ, p. 95, document en latin, LXIII, p. 347 et suivantes. Les actes concernant l’affaire Tornafol, les raisons et les conséquences, occupent les pages 325 à 352, c’est dire que la commune du Lieu était alors en plein bouillonnement, et cela après des années de misère qui avaient vu une forte dépopulation du village.
Mansuétude sans doute due à une communauté en plein désarroi après une longue période de misère dont on ne sait pas grand-chose à vrai dire, perdue dans notre lointain passé. La population avait même chuté de manière drastique, suite peut-être à des épidémies.
L’épisode Tornafol a retracé par Rochat-Cenise, dans son ouvrage : Paysans que nous sommes, chroniques de la Vallée de Joux, Pierre Cailler Editeur, MCMLIII. Les bois sont de M. Rivier-Gardian, dont celui ci-dessous en rapport avec le sujet.
Cet épisode si particulier d’une vraie révolte de notre population vis-à-vis des religieux, donna aussi le thème d’un film tourné par le docteur Convert et E. Barblan en 1958 : Hommage au couvent de L’Abbaye.
Et il en va ainsi de la vie de l’abbaye jusqu’au dernier abbé, Claude Pollens dit Bessonis. Celui-ci verra l’arrivée des Bernois, adjurera la religion catholique pour embrasser la protestante, obtiendra la jouissance viagère de son abbaye, se mariera et aura une fille prénommée Eve.
Cette glorieuse destinée à été retracée avec succès par Joel Reymond dans son ouvrage désormais bien connu, Le dernier abbé du lac [1]:
[1] Roman historique des Editions Favre, 2018, 294 pages.
La domination de l’abbaye sur la Vallée avait duré quatre siècles environ. Plus que la durée du régime bernois qui ne fut que de 262 ans, plus bien entendu que ce que nous avons connu de la vie vaudoise qui n’est en 2019 que de 216 ans.
Toute cette histoire racontée à tambour battant et avec des erreurs d’interprétation possible.
Et que devint l’abbaye après le départ des religieux ?
L’abbaye du Lac de Joux devait connaître une destinée misérable dès 1536.
Tout d’abord, sitôt les maîtres des lieux partis et la réforme établie à la Vallée, une nouvelle population s’empressa d’occuper les locaux délaissés. Mais pour cela, nécessité fait loi, on éventra, on démolit, on reconstruisit sur les mêmes murs, de telle manière qu’assez tôt l’on ne put plus reconnaître ce qui avait été un couvent.
Des murailles, qui n’eurent apparemment pas les dimensions démesurées que leur offre le professeur Piguet, on l’a dit plus haut, il est possible et même probable que l’on en fit des maisons, ne serait-ce que pour celles qui allaient former le quartier du haut du village. On n’allait pas se donner la peine d’aller exploiter des carrières même de proximité, alors qu’on avait des matériaux gratuit sur place.
Il est évident que toutes ces transformations n’ont laissé aucune trace dans les écrits, d’où la difficulté de savoir en quoi elles consistèrent. En plus des sinistres ont pu accélérer la transformation du couvent. En fait ceux-ci étaient si courants en ces époques passées, qu’ils étaient plus ou moins considérés comme normaux. On venait toujours en aide aux malheureux incendiés par des dons, par une aide possible à la reconstruction de leur bâtiment.
Ainsi au début du XIXe siècle, lors de l’établissement du premier cadastre fait pour le territoire de la Vallée de Joux par le nouvel état de Vaud, tout était consommé. Il ne reste pas trace de l’ancien couvent, mis à part les arches prises dans les façades de deux maisons dans le quartier proche de l’église.
Il est évident que des vestiges anciens avaient pu demeurer à l’intérieur des bâtiments eux-mêmes. Mais qui aurait su à l’époque s’en préoccuper, ou même savait-on encore qu’avant d’être protestante, notre population avait été catholique ? La notion d’histoire était quasiment inexistante pour le simple habitant, sue seulement par quelques lettrés, notaires ou avocats, qui, de temps à autre, avaient besoin de recourir aux documents anciens.
Lors de la démolition de l’ancienne église en 1865, qui n’était plus depuis longtemps la première abbatiale disparue on ne sait à quelle époque, des fouilles furent menées sur le site. Les résultats de celles-ci donnèrent lieu à quelques notes dans le bulletin de la SVUP sous la plume de Lucien Reymond. Quant au dossier complet, il a disparu.
Tout retombe dans l’ombre. L’archéologue et architecte Albert Naef (1862-1936) passe à l’Abbaye en 1899. Il a naturellement vu les arches toujours incrustées dans leur façade. Il a aussi pénétré dans quelques maisons. Son rapport, plus que succinct, figure ci-dessous :
Après son passage c’est le grand silence. L’ancien couvent allait pouvoir continuer à dormir sur ses deux oreilles !
Arrive l’incendie de 1966. On va découvrir en cette occasion la légèreté historique des autorités en place qui n’ont pour d’autre souci que de créer au plus vite des places de parc au cœur du village. Du passé religieux de son village, on n’en a cure. Il est vrai que ce désintérêt est dans l’air du temps, et qu’à l’époque l’on aurait étonné le monde en voulant procéder à des fouilles complètes des lieux qu’avaient occupés autrefois nos vénérables Prémontrés. Cette situation apparaît noir sur blanc dans un rapport que fera l’archéologue P. Margot :
Le 25 janvier 1966, un incendie détruisait tout un ilot de maisons à l’ouest de l’église actuelle de l’Abbaye. Ces édifices s’élevaient à l’emplacement de l’ancienne Abbaye et conservaient d’importants restes de bâtiments du XVe siècle et peut-être même plus anciens, masqués dans des reconstructions ultérieures.
La commune décide rapidement de déblayer toute cette zone et d’en faire une place de parc à voitures. Trois personnes de l’Abbaye, Monsieur le Dr. Convert, Monsieur Ch.-E. Rochat et Monsieur le Pasteur Chautems, en accord avec l’Archélogue cantonal, Monsieur E. Pellichet, aidé de volontaires, entreprirent de sauver, lors des démolitions, les fragments intéressants. Un appel aux volontaires parut dans la Feuille d’Avis de Lausanne du 6 mai 1966.
En accord avec le président de la Commission fédérale des Monuments historiques, le soussigné est allé se rendre compte de l’état des ruines et de la possibilité d’en tirer un parti intéressant, le 22 mai 1966. A cette date, tout était déjà détruit et les blocs récupérés épars au sud du temple. De nombreux blocs de valeur portaient des fractures récentes dues à une dépose maladroite. La destruction s’est faite avec des machines de chantier (trax) et beaucoup trop rapidement sans doute, pour permettre des constatations au cours des travaux, si bien que malgré les bonnes intentions des « récupérateurs », l’essentiel a été perdu. Les dispositions mêmes des lieux n’auraient pu être reconnues que par des investigations et des relevés systématiques, se qui n’a visiblement pas été fait, vu la rapidité de l’opération.
Il semble que les vestiges les plus importants, et qui ont seuls retenu l’attention, soient des arcades de baies du premier tiers du XVe siècle dans lesquelles on a voulu voir les arcs du cloître. Cette identification est douteuse, car ces baies étaient pourvues de vitrages, les feuillures d’origine en font foi.
Il semble que le couvent était disposé en fer à cheval, l’aile nord formée par l’église, l’aile ouest par les baies démolies et l’aile sud par des bâtiments encore existants. On pénétrait dans le cœur par un passage voûté à l’angle sud-est, ouvert sur la façade sud. Ce passage a été détruit, il n’en subsiste que le mur ouest, sur l’extrémité ouest de l’aile du bâtiment encore existante.
De ce couloir, on pénétrait dans l’aile sud par une baie dont l’arc apparaît dans le mur ; le rez-de-chaussée du dernier bâtiment de l’aile ouest, côté nord, était encore debout le 22 mai ; on y remarquait une fenêtre du XVe siècle dont la taille en calcaire jaune était ornée d’un chanfrein.
De l’église ancienne, il ne subsiste que la tour. L’église actuelle est moderne (fin du XIXe siècle sans doute) et sans aucun intérêt. La tour est contrebutée sur sa face ouest par deux contreforts modernes entre lesquels est tendu un arc qui doit être ancien, surmonté d’une baie rectangulaire murée. L’arc ne semble pas correspondre aux dispositions intérieures de la tour dont les étages bas conservent des traces de voûtes d’ogives détruites.
Aux deux angles nord-ouest et sud-ouest, la tour est appuyée par des contreforts curieusement implantés en sens inverse de ce qui semble logique. Il doit s’agir là des contreforts du chevet polygonal de l’église du XVe siècle, entre lesquels s’élevait la tour plantée hors œuvre. L’église n’aurait donc pas eu, si cette hypothèse est exacte, un chœur sous la tour comme l’arc dans sa face ouest pourrait le faire croire, mais un chevet polygone contre lequel, à l’est, se dressait le clocher.
Parmi les blocs de l’arcature du XVe siècle, en dépôt au sud de l’église, certains sont disposés de façon à reconstituer le remplage d’une baie. D’autres fragments de remplage donnent une idée de la qualité de cette architecture. Les ogives des voûtes retombaient sur les piliers en pénétrant progressivement les unes dans les autres. Sur l’un des blocs, le tracé géométrique qui a permis son exécution, est bien visible, gravé sur la face inférieure. Les piles reposaient soit au sol, soit sur un bahut. L’extrémité inférieure des nervures se terminait en base piriforme, tandis que des chapiteaux disposés en frise marquaient le niveau de la retombée des arcs sur les piles. Ces chapiteaux sont ornés de beaux feuillages en choux frisé. Un bloc peut-être placé dans un angle et formant culot, était orné d’un petit personnage malheureusement très mutilé.
Il est regrettable qu’un document d’une telle valeur et d’une telle qualité ait été démoli sans discernement, sans relevés précis des dispositions anciennes et sans investigations archéologiques qui auraient sans doute permis de remonter jusqu’au XIIe siècle et de mieux connaître l’un des hauts lieux de christianisation de notre pays. Tout ce qu’on peut encore espérer, c’est que les quelques fragments récupérés soient conservés et mis en valeur et subsistent en témoignage d’un passé de grandeur hélas perdue.
Une fois de plus, c’est le lieu de formuler le regret désabusé de voir que dans notre pays, si riche en moyens financiers pour d’autres choses, il ne soit pas possible de mettre sur pied une équipe archéologique capable, et de financer des investigations méthodiques. Ainsi, peu à peu, les témoins du passé s’en vont bribe par bribe et il ne restera bientôt qu’une Suisse parfaitement propre et mécanisée, dans laquelle tout sera mis au service du profit immédiat.
Suite au sinistre du 25 janvier 1966, le 16 mars la situation des anciens propriétaires semblait déjà réglée. On leur rachèterait la surface occupée par leur ancienne maison, place et jardin, tandis que grâce à l’assurance incendie et sans doute à de bonnes conditions, ils pourraient reconstruire en d’autres lieux.
L’Abbaye, le 16 III 1966
Monsieur le syndic et messieurs,
Enchantés de la décision que vous nous avez communiquée, lors de la séance du 7 mars, nous vous cédons volontiers notre parcelle de terrain, comprenant : l’emplacement de la maison, le jardin devant la maison, sous la voûte et le terrain derrière la maison, soit… m2 au prix de frs 12 (douze francs) le m2.
Espérant que notre prix est raisonnable et que vous en ferez l’acquisition, nous vous confions le soin d’assurer le déblaiement des ruines.
Par la même occasion nous tenons à vous remercier pour la part que vous avez prise à notre malheur. Tout d’abord, en nous cherchant des logements provisoires, des habits et de quoi acheter pour manger, etc. Encore merci à vous, monsieur le syndic, qui mettez immédiatement votre terrain à la disposition des sinistrés sans vouloir en tirer un profit exagéré, ce qui prouve combien réelle est la sympathie que vous nous témoignez tous.
Veuillez agréer, messieurs, nos meilleures salutations
Ainsi si l’on se désintéressait complètement des ruines, on veillait à assurer une transition décente aux sinistrés.
Le contrat d’adjudication de travaux fait comprendre néanmoins cette volonté excessive de faire table rase au plus vite :
L’entreprise soussignée, Franz SCHENKER & Fils, travaux publics, à Yverdon, s’engage à démolir complètement les ruines causées après l’incendie du 25 février 1965 à l’Abbaye, c’est-à-dire à rendre la place nette, propre et en ordre, à combler toutes les excavations, caves, creux à purin, etc.,, à transporter tous les matériaux à la décharge indiquée, les niveler en rendant la place parfaitement en ordre et propre. L’entreprise s’en tiendra, d’autre part, aux instructions de la Municipalité, ou de son représentant. La Municipalité dégage, d’autre part, toutes responsabilités quant aux accidents qui pourraient être causés par l’entreprise et les dégâts que cette dernière pourrait occasionner aux propriétés voisines.
Selon sa soumission, l’entreprise recevra en paiement des travaux, la somme de fr. 6000.- (SIX MILLE FRANCS), sitôt ces derniers reconnus par la Municipalité.
Pour le programme des travaux, l’entreprise s’en tiendra à la lettre d’adjudication des travaux de la Municipalité datée du 3 mai 19566.
Ainsi fait et signé à Yverdon, le … mai 1966.
Non signée.
Curieusement le montant final des travaux, facture du 2 août 1966, s’élèvera à 15 000.- soit un dépassement du devis de 250 %. Facture pourtant acquittée le 6 août 1966 par Schenker qui avait reçu la somme en question.
On l’a vu plus haut, trois hommes, Convert, Rochat et Chautems, prirent de leur temps pour tenter d’offrir quelques restes de l’ancien couvent à la postérité. C’est surtout Charles-Edouard Rochat, ancien syndic de la commune de l’Abbaye, qui se dévoua tout entier afin que ces vestiges puissent connaître une glorieuse conservation. Non sur les lieux mêmes où ils se trouvaient à l’origine, situation impossible à respecter dans l’ambiance des temps, mais à proximité de la Tour où la place était disponible et où la reconstitution de cette arche pourrait être admirée en toute tranquillisé. Elle attend votre visite aujourd’hui encore pour vous révéler toute la richesse décorative d’un gothique flamboyant de bon aloi.
L’analyse certes inachevée de ce beau monument, offre de comprendre quelles richesses architecturales somptueuses offrait le monastère.
Si l’on considère que toutes les tentatives d’analyser les restes du couvent furent soldées par des échecs, il faut pourtant poser ici qu’un homme, un seul, dans les années trente du XXe siècle, s’était vraiment donné la peine de pénétrer dans chacune des maisons construites sur le monastère lui-même. La série de ses notes, brouillons établis dans de multiples carnets et cahiers, est impressionnante. Une tentative de synthèse l’est tout autant, qui ne donnera, de la part de l’auteur, aucune publication de son vivant. Peut-être se doutait-il que ses hypothèses et même parfois ses conclusions, étaient trop flottantes pour être mises à la portée du public. Ce n’est qu’en 2000 que les manuscrits furent transcrits et composèrent l’ouvrage : Auguste Piguet, Etapes d’une colonisation, Le territoire à orient des lacs de Joux de 1489 à 1600, 2000, Editions Le Pèlerin façon JLAG.
Effectivement JLAG, soit Jean-Luc Aubert de Genève, est à l’origine de ce travail de … Prémontré ! La transcription de ces multiples notes fut sans aucun doute un travail long et fastidieux, avec la mise au net complète des croquis tracés parfois de manière hâtive par le professeur Piguet.
Celui-ci avait donc pénétré dans toutes les maisons et extrait de ses visites des notes qui constitueraient une matière riche et d’importance. Mais on ne saurait forcément être historien et archéologue tout en même temps. Si bien que cette documentation ne permet pas ou plus aujourd’hui de retrouver vraiment le plan complet de l’ancien monastère. Tout au plus pouvons-nous faire connaissance avec certaines parties de celui-ci telles qu’elles pouvaient encore se présenter dans cette première moitié du XXe siècle.
En ce sens le professeur Piguet était pareil à de Gingins, trop cultivé, trop sûr de son fait, et colmatant avec une facilité étonnante les brèches de la matière à disposition grâce à sa prodigieuse imagination.
Néanmoins il est plaisant de retrouver avec lui les anciennes bâtisses reconstruites sur le couvent des Prémontrés :
Que reste-t-il à cette heure, en fait de maisons d’origine ancienne gardant en quelque mesure leur cachet vétuste et nous révélant les secrets du mode de construction d’autrefois ? Un bien petit nombre. Le feu s’acharna à annihiler les témoins d’un lointain passé. L’habitant contribua de son côté dans une large mesure à cette disparition néfaste à notre point de vue. Il s’ingénia à réparer, à transformer, rehausser, embellir sa demeure, au point de lui enlever tout cacher original.
La palme de l’ancienneté revient sans conteste à la douzaine de fermes nichées dans les ex-édifices conventuels de l’Abbaye. Pour les aménager, il fallut éventrer sans pitié voûtes, vastes salles et cuisines. Chaque pièce est une énigme. On parvient toutefois à reconstituer les traits essentiels du plan conçu par les architectes du nord de la France au début du XIIe siècle.
Entrer dans le détail entraînerait trop loin. Contentons-nous de signaler aux amateurs de pittoresque les vastes hottes de cheminées en pierre demeurées debout ; les murs en gros cailloux (chillons) noyés dans un mortier d’une résistance extraordinaire, pétri à l’urine selon la tradition[1].
[1] Auguste Piguet, La vie quotidienne et les coutumes d’autrefois à la Vallée de Joux, Monographie folklorique, cahier B, Editions Le Pèlerin, 1999, p. 177.
Au sujet de tous ces cailloux, il faut reconnaître que leur provenance reste incertaine. Nous avons pu lire dans l’un ou l’autre des rapports en référence à la restauration de la Tour, qu’ils avaient peut-être été extraits d’une carrière située près du Mont-du-Lac.
Il est aussi possible que ces matériaux furent pris plus près du village, à sa traditionnelle carrière située juste au dessus de la route cantonale L’Abbaye – Le Mont-du-Lac, à quelque trois cents mètres du village. Elle était encore fort utilisée dans la première moitié du XXe siècle. Elle est désormais abandonnée.
Retrouver le vieux village de l’Abbaye tel qu’il se présentait avant l’incendie tout comme peu après, est un rêve que l’on peut faire grâce aux documents photographiques en notre possession.
Un centre du village plus laïc que religieux…
On découvre maintenant le long voisinage du bas de l’Abbaye toujours visible aujourd’hui et qui fait l’un des charmes de cette rue à l’ancienne.
La poste, on l’a vu ou on le verra, occupa trois emplacements différents avant que de rejoindre le milieu de ce long voisinage. Le premier en l’Hôtel de Ville, le second dans la maison avec balcon que l’on découvre toujours à l’angle de la place, et la troisième dans la première maison du voisinage du haut du village.
L’installation de la poste dans la maison Clerget date sans doute de 1940, année où Henri Clerget devenait buraliste. Celui-ci prit sa retraite le 30 avril 1965. Son fils Daniel Clerget entra en activité à ce moment-là, pour voir moins d’un an plus tard, le 25 février 1966 les maisons d’en face être incendiées, et puis, peu après, démolies pour laisser la place à un vaste terrain transformé aussitôt en places de parc, la voiture étant reine absolue à l’époque. La poste, reprise ensuite par Pierre Clerget, fils du précédent, fut malheureusement fermée le jeudi 28 février 2002, à 14 h. 45. Les clients furent ainsi condamnés à fréquenter dés lors celle du Pont, située tout de même à plus de deux km d’ici.
Si l’on remonte plus en arrière dans le temps, on découvre que le Conseil communal avait décidé le 23 juillet 1821 d’engager un postillon pour porter les lettres du Pont aux Bioux et vice-versa, passant naturellement par l’Abbaye où il pouvait déjà décharger son courrier. L’homme fera le trajet deux fois par semaine, les mardi et jeudi matin. Il retirera un crutz par lettre qu’il portera. Ce premier postillon fut Jaques Etienne Rochat conseiller.
Les conditions et les exigences liées à la place évoluèrent naturellement au fil du temps, et surtout des améliorations dans les transports publics.
En 1844 on parle d’un messager facteur.
Le courrier sera bientôt pris en charge du Pont aux Bioux par la diligence. Et cela jusqu’à la création de la compagnie d’auto-transports de la Vallée de Joux (AVJ) en 1920.
Une photo mieux que des mots exprime toute l’ambiance de cette belle époque.
Charles-Edouard Rochat, tout en déplorant comme d’autres que la commune de l’Abbaye n’ait pas connu le chemin de fer, ne peut se souvenir non sans émotion de l’époque de la diligence :
Les anciens se souviennent encore de la grosse voiture jaune, à deux chevaux, conduite par un postillon, dont l’un d’eux fut particulièrement célèbre par son beau caractère, sa serviabilité et sa bonne humeur. On l’avait surnommé Belloni (certaines mauvaises langues orthographiaient Belle au nid). Il laissait souvent les gosses s’agripper à la portière pour sauter sur le marchepied arrière et se faire transporter ainsi de l’école à la maison. Quand la neige était trop mauvaise, il prenait un petit traîneau à un cheval, et lorsque le cheval n’en pouvait plus, il portait lui-même le courrier devenu pressant. Durant la guerre 1914-1918, l’administration des postes réduisit le nombre des courses postales, et la Commune de l’Abbaye prit en charge les frais d^’une course supplémentaire Le Pont – Les Bioux[1].
[1] Charles-Edouard Rochat, AVJ, 1920-1970, Editions Pierre Rochat Le Pont, 1970, p. 3
1895 Guignard-Reymond Paul, mercerie, épicerie et bureau de poste
1905 Clerget Emile – Guignard Ruth, ceci jusqu’en 1920
1925 Clerget Emile – Cevey Ami
1930 Clerget Emile – Veuve Nelly Guignard
1934 Clerget Emile – Veuve Nelly Guignard
1935 Veuve d’Emile – Veuve Nelly Guignard
1940 Veuve d’Emile – Rochat Nelly
1945 Clerget Henri – Rochat Odette
1950 Clerget Henri – Rochat Marguerite – Société coop. de consommation
1955 Clerget Henri – Société coopérative de consommation
1960 Daniel Clerget – Société coopérative de consommation
1965 Daniel Clerget – Société coopérative de consommation
1970 Société coopérative de consommation.
Le village de l’Abbaye n’aura donc plus aucun magasin dès cette date. Mais citons encore, pour ce que l’on nomme parfois le bon vieux temps, l’épicerie de Lucien Mercet qui fonctionna en même temps que celle d’Emile Clerget :
Supplément :
Un ouvrage d’Auguste Piguet : La commune du Lieu de 1536 à 1646, Editions Le Pèlerin façon JLAG, 1999, détaille la manière dont les habitants de l’Abbaye auraient pris place dans les locaux laissés vacants par les religieux :
Plus d’informations encore dans la grande enquête sur l’ancienne abbaye du Lad-de-Joux que voilà :
Et à cet égard peut-on rapprocher les arcades de l’ancienne abbaye du Lac-de-Joux à celle que l’on peut voir figurer ci-dessous :