Poste 8

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8. Le scieur de long – les scieries de l’Abbaye –

Bien que les scierie de l’Abbaye ait débité les poutres, planches et autres couenneaux à l’aide de scies circulaires actionnées par la Lionne puis de multiples, nous avons choisi le scieur de long pour représenter le métier. Car tel pouvait être à l’occasion la manière de transformer les troncs en poutres et en planches.

Quand Vinet Rochat et ses fils débarquent à l’Abbaye du Lac de Joux en 1480, les abbés  octroient au patriarche le cours supérieur de la Lionne dès les murailles de l’abbaye jusqu’à sa source. Beau témoignage de la haute considération en laquelle on tenait nos industriels francs-comtois. Les abbés se réservent cependant l’eau nécessaire au moulin et à la scie de l’abbaye. Preuve aussi qu’avant même cette époque, il y avait en service ces deux types de bâtiments industriels dans les gorges de la Lionne.  

    Cette scierie passera bientôt dans les mains des Bertet, futurs Berney. L’acte est du 2 avril 1492. Cette installation fut reconstruite quelque trente ans plus tard. On la qualifie de neuve en 1526[1].

Auguste Piguet, Le territoire de la commune du Lieu, 1946, p. 137.

    Dès lors les scieries et autres établissements industriels prospérèrent ou végétèrent sur le cours de la Lionne où l’on ne trouve plus qu’un moulin sur la carte de Vallotton de 1709. On allait certainement scier son bois à Bonport.  

   Ces anciennes scieries abandonnées on ne sait trop pour quelles raisons, vont cependant renaitre de leurs cendres. Et c’est ainsi que le 6 septembre 1710, Isaac fils de Jean Jacques Golaz de l’Abbaye obtient de LL.EE. l’autorisation de construire une scierie[1] sur le cours de la Lyonnaz. 

    Plusieurs autres établissements s’inscriront dans la suite directe de cette nouvelle entreprise  sans que l’on puisse toujours fixer avec précision quels en furent les propriétaires.  Ce n’est au final que le cadastre de 1814 qui nous donne des renseignements précis.  

    Alors Jean Henri Guignard ou ses hoirs possèdent le moulin ainsi que la maison situés proche de la source de la Lionne.

    La scierie du Milieu est propriété d’Abraham Isaac Guignard charpentier, de  ses fils et autres partenaires du même nom.

    La scierie du bas est détenue par un consortium comprenant des Rochat, des Golaz et des Guignard. Cet établissement est plus ou moins en ruine à la fin du même siècle.

    Une troisième scierie verra le jour sur le site du Moulin au cours de ce même XIXe siècle.

    Tout au long du XXe siècle, les deux seules scieries du Milieu et du Moulin seront actives, cette dernière propriété de la famille Berney.  Elles changeront à leur tour de propriétaires au fil des générations. On y sciera poutres et planches en quantité, des boîtes à vacherin en plus à la scierie du milieu.  Produit qui sera aussi proposé plus tard par la scierie de Jean-Jacques Meylan établie au quartier de Sus la Rose.

    Une seule scierie est encore en activité aujourd’hui, celle de Jean-Victor Bonny. Elle est aussi la dernière de la Vallée alors même que nos forêts se sont étendues en reprenant leurs droits sur nombre de pâturages abandonnés.


[1] On disait volontiers scie à l’époque.

Carte Vallotton de Yale. Vers 1710. . Couleurs rajoutées. Un seul bâtiment industriel, le moulin.
Carte Vallotton de 1709. Deux établissements industriels, le moulin et une forge. Aucune scierie encore.
Auguste Reymond, photographe, s’est rendu sur les lieux à la fin du XIXe siècle pour immortaliser la scierie du Moulin dont l’existence est prouvée surtout par l’amas des planches de proximité. Il y a là là-bas un véritable petit monde industriel, avec des bâtisses industrielles et d’autres d’habitation.
Tout le vallon supérieur de la Lionne est occupé par les bâtiments industriels du « Moulin » ainsi que par leur production de planches. On s’est toujours posé la question de savoir pourquoi ces immenses tas ne s’envolent pas au premier coup de vent. A droite, le chemin de la Côte à Claude à l’Ermitage, ainsi qu’aux forêts et pâturages supérieurs. Les orages y font des dégâts souvent impressionnants.
L’hiver complique les transports et le travail du bois. Scierie du Milieu à gauche, et à droite paysan conduisant du fourrage sans doute à sa ferme du Moulin.
Scierie du bas à l’Abbaye à la fin du XIXe siècle. Ce n’est plus qu’une ruine dont le toit et les parois partent en lambeaux.

Une belle brochure :  De Groenroux au Moulin, ou l’histoire d’une famille de L’Abbaye, raconte la saga de la famille de Louis-Ami Berney. Nous y puisons ces quelques notes.

    La scierie recevait sa force motrice d’une roue à aubes sur la Lionne et d’une machine à vapeur. Elle comprenait des ateliers de menuiserie avec des machines telles que dégauchisseuse, mortaiseuse, crêteuse. Il y avait une scie multiple, deux scies battantes à une lame, une scie à ruban. On allait chercher le bois en forêt, grumes et « billons », avec chars, des luges en hiver, tirés par des chevaux.     Il allait aussi livre la marchandise, soit par chemin de fer au départ de la gare du Pont, soit par charroi à la Vallée ou au pied du Jura. En feuilletant les livres de comptes de cette époque on découvre les noms de clients restés fidèles pendant plusieurs dizaine d’années. La force hydraulique était variable selon les saisons et on ignore quelle était la puissance de la machine à vapeur. Ce que l’on a appris, c’est que les journées de travail pouvaient débuter à la pointe du jour et se terminer à la nuit tombée, car tant que la Lionne fournit de l’eau, on scie ! Et la nuit venue on emplie à a lumière des « falots-tempête » ! En plus des membres de la famille, l’entreprise comptait quelques ouvriers et manœuvres, engagés pr les anciens exploitants. Ils connaissaient le maniement des machines et apprenaient leur métier pas risques aux nouveaux arrivants.

De l’activité à revendre à la scierie de Louis-Ami Berney.

Faisons maintenant la connaissance de Paul Guignard, patron de la scierie du Milieu : 

On découvre ce qu’il en fut des scieries de l’Abbaye dès la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe grâce à l’Indicateur vaudois :

Ces indispensables voituriers, à cheval ou bientôt plus volontiers en camion.
Eté, hiver, rien ne retient nos voituriers.
Tant dans le Jura suisse que dans le Jura français comme ici.

    Une visite à la scierie de l’Abbaye au mois de mai 2014

Des plots ou billons qui ont bien belle allure.
La multiple, cœur de la scierie. « Une pièce importante viendrait à lâcher, nous dit Jean-Victor Bonny, mon entreprise de sciage est foutue ! »
Jean-Victor Bonny, menuisier, a remplacé l’ancien propriétaire Jacques Berney.
Une recommandation devenue légendaire !
Un monde de planches que l’on pouvait autrefois découvrir en de multiples endroits de notre Vallée. Pourvu qu’il dure, tels sont nos vœux les plus sincères !
Coopération du 16 septembre 2008.

Quelques professionnels du bois en ce XXe siècle où ils abondaient…

Jacques Berney scieur, une émission de VAL TV du 12 juillet 2007, dans sa série : Un jour avec. Réalisation Jean-Claude Truan, Vallorbe

    Transcription

Ça c’est un endroit de la scierie où je gagne ma vie ou je la perds, selon que j’envoie une planche dans la machine, la déligneuse, juste ce qu’il faut. Cette planche, par exemple, est pleine de nœuds noirs, c’est vraiment pas une belle planche, un peu nerveuse, une planche de coffrage. Par contre ici, j’ai une jolie planche qui a par contre deux défauts, elle est très conique et elle a des nœuds d’un côté. Alors je vais tirer ce qu’on appelle un cadre de porte, ici, avec la machine. A la suite du passage dans la machine, je vais faire tomber les défauts, ces nœuds et évidemment la flâche, qui se trouve de ce côté.  Voilà le résultat, les nœuds que j’ai éliminés, et la flâche qu’on appelle la délignure, qui va aller aux déchets. Et voilà le montant de cadre de porte premier choix pour les menuisiers.

– Scieur de long, ça consiste en quoi, exactement ?

    Alors scieur de long, consiste à acheter des grumes aux forestiers, donc des grands bois, et les faire acheminer à la scierie par un camionneur, anciennement par les voituriers, les charretiers avec les chevaux,  et ensuite les débiter pour différents corps de métier, les couvreurs, les charpentiers ou menuisiers, qu’ils  puissent les utiliser dans leur usine. Alors je fais des carrelets, des poutres, des planches brutes ou rabotées, crêtées, ca veut dire qui puissent s’emboîter, que ce soit bien hermétique, que la paroi soit hermétique. Je fais aussi un peu de caisserie à l’occasion, quelques palettes pour l’industrie, qu’ils puissent expédier leurs machines. J’ai toujours pensé aux bouchers avec mon métier. On achète quelque chose d’entier et on le détaille. Certains articles, on les garde plus ou moins longtemps. On n’a pas besoin de congélateur, ce qu’il y a de bien. Et  ce n’est pas des marchandises périssables, c’est aussi un gros avantage. Si on ne va pas au fond de la pile chaque fois, c’est pas grave. Le solde, il est jamais perdu. Il arrive toujours un jour où l’on puise dans les soldes et ils rendent service.    

Alors moi, je suis tombé dans le bois très jeune, parce que mon père était menuisier-charpentier au village. Il travaillait avec très peu de main-d’œuvre. Il a formé occasionnellement quelques apprentis. Il a occupé un ouvrier qu’il empruntait à la scierie de son frère. Mais dès qu’on a été assez costaud, il utilisait ses fils comme ouvriers. Donc très jeune j’ai planté des crosses dans des chevrons, j’aidais à mon père à la raboteuse, comme ça. Puis alors,  à l’âge de 15 ans, j’ai commencé un apprentissage de bûcheron à la commune du Lieu et j’ai pratiqué ce métier une bonne dizaine d’années, jusqu’en 1974 en fait, quand j’ai repris cette scierie avec mon frère. J’ai travaillé 4 ans avec mon frère en association. Après on s’est séparé comme souvent dans les associations. Une fois qu’on sait le métier, que les premières années difficiles sont passées, chacun fait son chemin, et donc depuis 78 je suis seul maître à bord.

– Et ça marche ? 

    Ca été assez dur au début, il a fallu serrer les fesses, comme on dit. Pour vous dire, je faisais un inventaire tous les six mois pour savoir où j’en étais vis-à-vis de la comptabilité. Mais à présent, évidemment, tout ça est derrière, les enfants sont élevés, tout va très bien.

    Les premières années surtout, quand j’avais du personnel. L’hiver c’était très pénible. C’est vraiment une abomination que cette neige à peler, cette glace à casser. Avec  du personnel, on avançait moins, pas du tout comme en été. Et ça a été pénible. Alors peut-être que d’aucuns se plaignent des hivers plus doux, du manque de neige, mais alors le scieur ne se plaint pas de ce côté là !

Jacques Berney dans sa scierie.

A l’époque, on recevait plusieurs listes de propriétaires forestiers. On choisissait les lots qu’on voulait. Le choix, ce n’est pas le mot juste. On acceptait ou on refusait, avec le risque de manquer de grumes,  évidemment. La plupart du temps, ça jouait. Il faut dire qu’à l’époque s’il y avait un problème, si une grume s’ouvrait mal avec du pourri ou comme ça, on pouvait faire revenir les gardes-forestiers assez facilement pour des dédommagements. A présent, depuis Lothar, la valeur du bois a tellement baissé que l’on peut presque dire qu’on est au prix unique. Et faut vraiment qu’il y ait des gros dégâts pour faire venir des gardes-forestiers ou la garde-forestière.

   –  Vous travaillez avec quelles sortes de machines ?

Et bien moi, j’ai une multiple. Une multiple, vous avez entendu ce nom, c’est la machine qui est venue après les scies à cadre,  les mono-lames. En France, ils appellent ça des hauts-fers. C’est-à-dire que ça ne fait qu’une planche à la fois ou un trait de scie à la fois, puisque le premier trait de scie donne seulement une dosse. Dosse, c’est-à-dire  un déchet.

    L’origine de cette scierie, elle est liée avec les autres scieries du village  et avec des forges. C’est en fait les premiers immigrants français, les Rochat, qui étaient venu là de Rochejean. Certainement parce qu’il y avait une rivière qui donnait suffisamment de puissance pour faire tourner toutes les machines. Mais surtout l’industrie du fer au début, il y avait besoin de toutes sortes d’outils. Car  avec la forêt, la première chose à faire c’est de couper l’arbre. Et pour couper l’arbre, il faut des haches, des scies, des serpes etc. Les scieries sont très certainement venues après. Parce qu’au début on sciait à la main. Un homme dessus et un homme dessous, c’est comme la glace sur le lac. Cette scierie a arrêté d’utiliser la rivière au début des années soixante. J’étais encore gamin. Je me souviens très bien quand des ouvriers allaient relever la planche où la rabaisser, suivant le débit de la rivière, pour faire aller l’eau dans la canalisation.

Je suis très souvent seul à travailler sur ma scierie. Mais pendant des décennies j’ai eu du personnel, surtout quand mon frère à quitté ici. Tout de suite j’ai embauché. J’ai eu jusqu’à trois ouvriers. Mais je me suis rendu compte qu’une fois le temps de formation passé, ces jeunes, c’étaient pratiquement toujours des jeunes, trouvaient qu’ils avaient assez vu ce métier, que c’était… Ils voulaient voir autre chose, c’était souvent leur refrain. C’est bien, chez toi, mais on veut voir autre chose. Je comprenais. Ce que je veux dire, c’est qu’au niveau de la main-d’œuvre, je n’ai jamais mis quelqu’un à la porte. Je les ai toujours laissés faire leur temps et puis quand ils voulaient s’en aller, ils s’en allaient. Mais ce système est quand même fatiguant à la longue, parce qu’on n’y trouve pas tellement son compte. Faut toujours repartir à zéro, et en plus on est dans une région où la comparaison est déficitaire. Je veux dire qu’avec l’horlogerie, avec des journées beaucoup plus courtes, on est dans des ateliers chauffés, on souffre de la comparaison.

Arrive Jean-François Burkhalter, constructeur de bateaux à Yverdon-les-Bains.

    – Je viens d’Yverdon exprès là parce que trouve que c’est encore une vraie scierie, avec un vrai passionné ! Et j’ai toujours été content du bois qu’il m’a livré. Je pense que je choisis les plus beaux. C’est le but. Je suis content. J’ai toujours été très bien servi.

   –  Et vous faites quoi, avec ce bois ?

   – Et bien c’est pour faire dans les bateaux en bois. Je fais les baupières, les listes, les barreaux de pont. On fait aussi des rames, des planches et puis des petits gréements. On a fait des petits mats pour les petits voiliers. On fait encore en bois parce qu’on refait des bateaux à l’ancienne.

    – Vous n’avez pas d’autres scieries plus près d’Yverdon

    –  Si, mais j’aime bien la Vallée de Joux. Je trouve que c’est un peu le paradis. J’aime bien y monter et puis ca fait plaisir de voir encore une vraie scierie.

    Ce qu’il y a de très sympathique ici, c’est qu’on ne voit que des factures comme ça (inscrite à la craie bleue sur une planche). C’est très sympa (rire).

L’une de ces fameuses listes ! Quelques-unes ont été conservées par le Patrimoine de la Vallée de Joux, précieux témoignage de cette scierie de l’Abbaye alors encore en pleine activité.

Un des beaux côtés du métier, c’est de satisfaire les clients. C’est quand n’importe qui vient là, que ce soit un maître d’état ou des particuliers, quand ils viennent chercher quelque chose, c’est qu’ils le trouvent. Je suis très en souci quand je n’ai plus un article, quand je suis arrivé au fond d’une pile, comme ça. Je  me dis que le lendemain, il ne va pas trouver ce qu’il a l’habitude de trouver, pour moi, c’est un souci. Mais dès que j’ai pu refaire mon stock, rachalander mon stock, je suis à nouveau très content. J’aime bien voir les gens partir avec leur bois, et je dois dire une chose, c’est qu’en trente ans, je n’ai que peu ou pas eu de retour. C’est arrivé quelques fois, forcément. C’est une grosse satisfaction que les gens soient contents de ce que je leur livre.

– Vous parlez de refus ?

La qualité, la qualité parce que forcément ça prête à discussion. Il y a trop de nœuds noirs, parfois du taré qu’on n’a pas vu, toutes sortes de choses. Du mauvais sciage, je peux pas dire. Bon, c’est pas parfait, le sciage, parce que le bois massif, il n’a jamais fini de travailler. Donc il faut se contenter d’un juste milieu et on ne peut pas obtenir la perfection. Pour avoir la perfection avec le bois, il faut le coller. Il faut faire du simili. Mais quand on travaille sur du bois massif, avec les différences de température, le taux d’humidité, etc…, la perfection n’existe pas.

    (On entend la multiple).

– Habituellement vous travaillez quel bois ?

    Surtout l’épicéa. Depuis vingt ans les forestiers ont pris l’habitude de trier au départ. C’est-à-dire qu’ils font des lots d’épicéa et de sapin blanc. Le scieur qui veut du sapin blanc, achète du sapin blanc, et celui qui veut de l’épicéa, achète de l’épicéa. Moi je suis pour l’épicéa. Il faut dire qu’il a toujours la même couleur, l’épicéa, tandis que le sapin blanc, il varie de couleur. Tout d’un coup vous avez du sapin très rouge ou du sapin très blanc et qui dépareille l’épicéa. A la vallée, on a 8% de sapin blanc. C’est plus facile à la Vallée de Joux de n’acheter que de l’épicéa.

    (On entend la multiple s’arrêter).

Je savais depuis très longtemps les effets bénéfiques de l’observation de la lune. Parce que quand j’étais bûcheron, j’ai déjà travaillé avec ça. Mais quand je me suis mis scieur, jamais je n’aurais osé demander aux forestiers de la Vallée d’abattre du bois à la bonne lune. On était déjà bien content qu’ils veuillent nous mettre du bois. Mais avec les difficultés qui sont venues se greffer chez eux pour la vente de leur bois, et moi venant sur l’âge, j’ai pris le courage, l’opportunité, d’exiger qu’ils me coupent le bois à la bonne lune. Et heureusement j’ai trouvé un bon écho chez certains,  et depuis quelques années ça joue à la perfection. Et je vois une différence énorme avec la qualité de ce que je scie, surtout au niveau du séchage, les attaques de bostryches, les fentes et la torsion des poutres.

     Une des difficultés, c’est l’effort physique. C’est continuellement un effort physique. Mais comme étant un ancien sportif, j’ai fait de mon métier mon sport. 

    Alors d’autres inconvénients que l’on trouve, c’est les défauts dans le bois, parce que forcément le scieur, il ouvre le bois. Il lit dans le bois ce qui s’est passé pendant les années de croissance. Par exemple, vous avez ici un arbre qui a eu la cime cassée, et une branche a repoussé et refait une cime. Heureusement que pour moi j’avais scié ce bois en plateaux. Ce qui veut dire que j’arrive quand même à tirer quelque chose. Mais si par exemple j’avais scié des poutres dans cette bille, et bien les poutres étaient fichues.

    Ici il y a un autre défaut que l’on rencontre surtout à la Vallée de Joux. Je ne sais pas si ça se rencontre ailleurs, je n’en ai jamais entendu parler ailleurs. C’est ce qu’on appelle le pourri brûlé. C’est le plus mauvais pourri qui existe. C’est un pourri qui saute d’un endroit à l’autre. Vous avez du bois sain au départ, tout d’un coup vous avez du pourri brûlé. De nouveau du bois sain, de nouveau du pourri. Et ça, c’est très embêtant. On ne sait pas que faire avec ce bois.

    Alors là je suis en train d’avoyer. Avoyer, ça veut dire mettre de la voie. Pour qu’une lame ne chauffe pas dans la taille, il faut que le chemin quelle fait dans le bois soit plus large, plus épais que la lame elle-même. Alors pour obtenir ça, il faut, si l’on veut bien dire, mailler, un terme suisse sûrement, vaudois, il faut mettre une dent à gauche et une dent à droite. C’est d’une simplicité rare, mais il faut que ce soit fait soigneusement. Malgré tout, ceci étant fait, il reste encore à l’affuter. Un coup de mazout de chaque côté…

Je savais depuis très longtemps les effets bénéfiques de l’observation de la lune. Parce que quand j’étais bûcheron, j’ai déjà travaillé avec ça. Mais quand je me suis mis scieur, jamais je n’aurais osé demander aux forestiers de la Vallée d’abattre du bois à la bonne lune. On était déjà bien content qu’ils veuillent nous mettre du bois. Mais avec les difficultés qui sont venues se greffer chez eux pour la vente de leur bois, et moi venant sur l’âge, j’ai pris le courage, l’opportunité, d’exiger qu’ils me coupent le bois à la bonne lune. Et heureusement j’ai trouvé un bon écho chez certains,  et depuis quelques années ça joue à la perfection. Et je vois une différence énorme avec la qualité de ce que je scie, surtout au niveau du séchage, les attaques de bostryches, les fentes et la torsion des poutres.

     Une des difficultés, c’est l’effort physique. C’est continuellement un effort physique. Mais comme étant un ancien sportif, j’ai fait de mon métier mon sport. 

    Alors d’autres inconvénient que l’on trouve, c’est les défauts dans le bois, parce que forcément le scieur, il ouvre le bois. Il lit dans le bois ce qui s’est passé pendant les années de croissance. Par exemple, vous avez ici un arbre qui a eu la cime cassée, et une branche a repoussé et refait une cime. Heureusement que pour moi j’avais scié ce bois en plateaux. Ce qui veut dire que j’arrive quand même à tirer quelque chose. Mais si par exemple j’avais scié des poutres dans cette bille, et bien les poutres étaient fichues.

    Ici il y a un autre défaut que l’on rencontre surtout à la Vallée de Joux. Je ne sais pas si ça se rencontre ailleurs, je n’en ai jamais entendu parler ailleurs. C’est ce qu’on appelle le pourri brûlé. C’est le plus mauvais pourri qui existe. C’est un pourri qui saute d’un endroit à l’autre. Vous avez du bois sain au départ, tout d’un coup vous avez du pourri brûlé. De nouveau du bois sain, de nouveau du pourri. Et ça, c’est très embêtant. On ne sait pas que faire avec ce bois.

    Alors là je suis en train d’avoyer. Avoyer, ça veut dire mettre de la voie. Pour qu’une lame ne chauffe pas dans la taille, il faut que le chemin quelle fait dans le bois soit plus large, plus épais que la lame elle-même. Alors pour obtenir ça, il faut, si l’on veut bien dire, mailler, un terme suisse sûrement, vaudois, il faut mettre une dent à gauche et une dent à droite. C’est d’une simplicité rare, mais il faut que ce soit fait soigneusement. Malgré tout, ceci étant fait, il reste encore à l’affuter. Un coup de mazout de chaque côté…

Ça été une des bonnes choses dans mon métier. Ici, c’est que je suis devenu très  très prudent question de faire des briques, comme on dit. Tellement je suis peu mécanicien. Je préfère scier moins de bois d’un jour, mais surtout ne pas faire de briques.

    Ce métier, je le fais que depuis quelques années, depuis que ma femme fait de la politique. Avant, c’était elle qui venait faire ce travail. Ca m’a beaucoup aidé les premières années.

– Jaques Berney, est-ce que vous prenez de temps en temps des vacances ?

    Alors ça, le problème des vacances à la scierie Clerval… C’est une affaire de couple en fait. Ca concerne mon épouse. Elle a tellement peur de manquer le lac l’été, le ski l’hiver, les champignons au printemps, elle ne pourrait pas quitter la Vallée. Moi, ça m’arrange, parce que je me plais suffisamment à ma scierie. Je n’ai pas envie autrement d’aller ailleurs. Si je vais ailleurs, c’est par le chemin des documentaires à la télévision. Je me régale quand je peux aller soit au Pôle nord soit au Pôle sud, ou bien je lis Jules Verne. Je pense souvent à Jules Verne, parce que lui, il a écrit tous ses livres depuis sa chambre à Paris, alors je suis sûr qu’il n’a pas été malheureux.

– Donc on peut dire, quasiment pas de vacances ?

    C’est pas le mot. On avait été à la Guadeloupe il y a quelques années, mais ça n’avait pas été…Il faudrait que je puisse prendre des vacances avant d’aller en vacances afin d’être bien reposé et de profiter. Comme on ne peut pas penser à ça, alors autant rester à l’Abbaye. On habite un tellement beau coin…

   (Vue sur le village, guitare, les pas de l’homme, la porte d’entrée de la scierie).

– Vous êtes de dernier scieur de la Vallée ou pas ?

    Ca c’est quelque chose que j’entends très souvent et qui m’agace un peu, parce que c’est loin d’être le cas, heureusement pour les gens qui ont besoin de bois. Premièrement les boîtes à vacherin, je n’en fais pas. Elles sont faites par une scierie, et à l’Abbaye même. Alors il ne faut pas dire qu’il n’y a plus qu’une scierie à la Vallée. De plus il y a les scieurs avec des scieries roulantes. Ils se déplacent en forêt et comme ça, je suis loin d’être le seul scieur à la Vallée

    L’avenir des scieries ? Sur le plateau suisse, je pense qu’il y a encore un avenir, parce qu’elles sont près des régions d’utilisation, parce qu’on fait tellement de choses avec le bois,  que ce soient des palettes d’emballage, toutes sortes de choses,  et le gros est la construction qui se fait sur le plateau suisse. Dans nos régions retirées, ça c’est autre chose. C’est pour ça qu’il vaut mieux être très petit pour arriver à survivre. Et je pense que mon usine, je vais la tirer aussi longtemps que je pourrai. C’est lié à ma santé. Si je ne suis pas obligé de m’occuper de la retraite, je ferai comme le boulange du village d’il y a quelques décennies, je continuerai. Comme je le dis, si la santé me le permet, et puis après, ma foi, mes héritiers en feront ce qu’ils voudront, de cette usine.

– Jacques Berney, je vous remercie infiniment d’avoir participé à cette émission « Un jour avec ». Pour moi, c’est à chaque fois une superbe découverte.

     – Et bien ma foi, je vous remercie aussi. J’ai fait un peu l’apprentissage de la caméra et j’espère que vous arriverez à faire une émission valable !

    Note : Ce qui fut réellement le cas, avec non seulement une émission valable, mais une émission remarquable, menée de main de maître par notre ami Jean-Claude Truan de Vallorbe, caméraman et d’un acteur non moins remarquable, apte à parler du métier de scieur dans toutes ses étonnantes particularités. Du beau boulot !  

    D’autre part Jacques Berney nous a encore livré ces quelques lignes sur son  ancienne scierie :

Hôtel de Ville 8                                                          Va à

   Jacques Berney                                                            M. Rémy Rochat

   1344 L’Abbaye                                                            Les Charbonnières

     Cher Président de l’Association St-Norbert,

    Les quelques mots qui suivent pour que ma conscience me foute la paix !

    Ceci en ce qui concerne la scierie « Clerval », et en plus des émissions Val TV.

    Louis-Ami Berney, grand-père de mon père, avait vendu les parts qu’il possédait dans cette scie. A la guerre de 14, Simond, ancêtre de Simond Mollendruz, Simon Cossonay-Gare, Edy Simond, boursier du village du Pont, l’épouse du Mi, etc., avait des dettes vis-à-vis des deux scieries de l’Abbaye. Il avait fait faillite parce qu’il avait payé comptant du bois à la mise de Pontarlier et qu’il n’avait  pas pu rentrer celui-ci à cause de la guerre. Les scieurs s’étaient rattrapé en prenant l’un la maison Roland Berney, l’autre celle actuelle de Jean-Victor Bonny.

    Pour ce qui est du nom « Clerval », une famille Guignard était devenue propriétaire de cette scie, (certainement des gros Guignard). A l’église, les gros Guignard s’asseyaient à droite, les petits Guignard à gauche (source Humbert Guignard). Or donc, le jeune Paul Guignard était parti travailler en France, à Clerval-sur-le-Doubs, d’où ìl avait ramené sa femme. Quand Julien Rochat et son compère Louis Golay, beau-fils de Paul Guignard, avaient repris l’usine, ils ont donné le nom de « Clerval » à leur Société à r.l. La responsabilité limitée n’avait pas du tout plu au notaire Giroud ! Il voulait des gens responsables !

    L’Abbaye, novembre 2020.

                                                           Bonnes salutations.

                                                                                                 Jacques Berney

    Note : Paul Berney, père de Roland,  avait acheté cette maison à la belle-fille du vieux Paul Guignard. Cette dame, sœur de la tante Edith du chalet à Bono au Pont, s’était retrouvée veuve suite d’un accident survenu à son mari alors qu’il chargeait des billons sur le camion de la scierie qu’il exploitait avec son père.

Après le métier de scieur, celui de tavillonneur. Ici pour la pose des tavillons sur la face à vent de la fontaine du bas. Le rond accueillera le vitrail de la lavandière.
Pour tavillonner, l’œil et la main !
L’œuvre est achevée. Magnifique ! Ne reste plus qu’à poser le vitrail de la lavandière.
Ce qui sera fait quelques semaines plus tard, avec même la restauration complète de la couverture de la fontaine.